Faire pousser des minicerveaux pour étudier le vieillissement
Le cerveau, c’est comme la carte mère de notre corps. Au fil du temps, il peut présenter des défectuosités qui compromettent des fonctions essentielles de l’organisme. Dans l’espoir de mieux comprendre ce processus de vieillissement, les professeurs Benoit Laurent et Marc-Antoine Lauzon font pousser… des organoïdes.
Non, ce n’est pas de la science-fiction. Les organoïdes, des organes miniatures cultivés en laboratoire à partir de cellules souches, existent bel et bien, et ils suscitent un intérêt grandissant dans la communauté scientifique.
Notre cerveau baigne dans le liquide céphalorachidien, qui en nourrit chaque région. Selon les deux chercheurs, il serait la clé du vieillissement.
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
L’idée est notamment exploitée par les professeurs Benoit Laurent et Marc-Antoine Lauzon, deux jeunes chercheurs de l’Université de Sherbrooke ayant un intérêt commun pour les neurosciences et la recherche sur le vieillissement.
À travers leur projet interdisciplinaire qui marie médecine et ingénierie, ils tentent de comprendre pourquoi les différentes zones du cerveau ne vieillissent pas au même rythme, mais surtout, quel est le facteur commun au vieillissement dans l’ensemble de cet organe.
Benoit Laurent, professeur-chercheur au Département de biochimie et de génomique fonctionnelle, membre du Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l'Estrie – CHUS.
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
« Dans la boîte crânienne, notre cerveau baigne dans le liquide céphalorachidien, illustre le professeur de biochimie et de génomique fonctionnelle Benoit Laurent. Ce liquide nourrit toutes les régions du cerveau. Nous pensons qu’il est la clé du vieillissement. »
Pour vérifier leur hypothèse, les deux chercheurs reproduisent in vitro des organoïdes de plexus choroïdes, soit la partie du cerveau qui sécrète le liquide céphalorachidien.
« Le plexus choroïde sécrète aussi des protéines qui stimulent les cellules souches dans le cerveau et favorisent la production de nouveaux neurones, poursuit le professeur Laurent. Nous croyons que, si la sécrétion de ces protéines et la production du liquide diminuent au cours du temps, cela peut déclencher le vieillissement de l’ensemble du cerveau et conduire à la mort prématurée de certains types de neurones. »
À quoi ressemble un organoïde?
Les organoïdes n’ont pas l’apparence de vrais organes. Formés à partir de cellules qu’on fait pousser pendant plusieurs mois, ils ressemblent à de petites masses d’à peine quelques millimètres, qui deviennent liquides lorsqu’elles arrivent à maturité. En termes scientifiques, on parle de « culture tridimensionnelle in vitro ».
Aux petits soins grâce aux chambres de culture
Ne crée pas des organoïdes qui veut. Pour reproduire en laboratoire des mécanismes aussi complexes que ceux qu’on retrouve dans le cerveau humain, il faut un environnement parfaitement contrôlé. C’est ici que l’ingénierie entre en jeu.
Marc-Antoine Lauzon, professeur-chercheur au Département de génie chimique et de génie biotechnologique, membre du Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l'Estrie – CHUS.
Photo : Michel Caron - UdeS
« Mon groupe de recherche développe des bioréacteurs pour faire pousser, entre autres, des organoïdes, explique le professeur de génie chimique et biotechnologique Marc-Antoine Lauzon. Ces derniers comportent des chambres de culture conçues sur mesure pour s’adapter aux différents besoins et au microenvironnement des tissus du corps visés. Le danger, c’est lorsque l’organoïde atteint une certaine taille. Il y a alors un risque de formation de nécrose en son centre. Pour pallier cela, le bioréacteur permet de forcer la circulation en perfusant un liquide riche en oxygène et en nutriments. »
Les organoïdes des professeurs Laurent et Lauzon sont fabriqués à partir de cellules souches dérivées de cellules de la peau, du sang ou de l’urine. « On prend des cellules souches de patients à différents âges, 30 ans, 50 ans ou 80 ans, on en fait des organoïdes de plexus choroïdes, puis on compare les mécanismes du vieillissement », précise le professeur Laurent.
Mais une fois qu’on aura compris pourquoi le cerveau vieillit, que compte faire la science avec ces nouvelles connaissances? Cette réponse tient en deux mots : mieux vieillir.
2 milliards de personnes aînées dans 30 ans
À les écouter parler, il est clair que les deux chercheurs vouent un respect admiratif à la population aînée.
Le but des travaux est d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées, et non de freiner le vieillissement.
Photo : Michel Caron - UdeS
Pour le professeur Laurent, cette admiration s’est confirmée récemment, alors qu’il animait une formation sur les cellules souches à l’UTA : « J’attendais une dizaine de personnes. Il y en a eu 53! J’ai donné deux heures de cours, et j’ai eu une heure de questions! On pourrait penser que les personnes âgées ne s’intéressent pas au développement technologique, mais au contraire, elles suivent cette actualité avec un grand intérêt. »
Si la participation sociale des personnes âgées est souhaitable à bien des égards, elle est toutefois tributaire de leur état de santé. C’est d’ailleurs à travers cette lunette que les deux chercheurs poursuivent leurs travaux.
Dans 30 ans, 2 milliards de personnes auront plus de 65 ans. Avec nos travaux, on ne cherche pas à ralentir le vieillissement car c’est un processus naturel. Toutes les espèces vieillissent. L’idée est plutôt de garder une certaine fonctionnalité du corps jusqu’à un âge avancé pour bien vieillir et s’assurer une bonne qualité de vie.
Benoit Laurent, professeur de biochimie et de génomique fonctionnelle, membre du Centre de recherche sur le vieillissement
Ultimement, ils espèrent que leur recherche fondamentale pourra contribuer à réduire la pression qu’exerce la perte d’autonomie des personnes âgées sur le système économique :
La géroscience donnera lieu à de meilleures habitudes de vie. Nous voulons avoir un effet en amont, être proactifs, faire de la prévention, plutôt que guérir. Cet aspect fondamental est super important, car il nous permet de mieux comprendre les phénomènes. Et mieux comprendre les phénomènes nous permet d’agir un peu plus tôt.
Marc-Antoine Lauzon, professeur de génie chimique et biotechnologique, membre du Centre de recherche sur le vieillissement
La géroscience, qu’est-ce que c’est?
C’est l’axe de recherche sur le vieillissement qui se consacre aux habitudes de vie, aux maladies chroniques et à la biologie du vieillissement. Au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie – CHUS, auquel sont rattachés les professeurs Laurent et Lauzon, cet axe est complémentaire à l’autonomisation, soit la recherche entourant l’autonomie et la participation sociale des personnes aînées.
Des organoïdes à l’humain
La géroscience n’a pas l’ambition de repousser les limites du vieillissement, mais plutôt d’en étudier la complexité, comme l’explique le professeur Laurent :
Les organoïdes des professeurs Laurent et Lauzon sont fabriqués à partir de cellules souches dérivées de cellules de la peau, du sang ou de l’urine, l'origine embryonnaire des cellules souches ayant été remplacée par des solutions plus éthiques.
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
« Le vieillissement est étudié sous plusieurs angles : sociologique, épidémiologique, etc. Mais quand on parle de vieillissement biologique, ce n’est pas toujours aussi évident de l’étudier chez l’humain. On peut récupérer du sang à différents âges chez des patientes et patients, mais c’est impossible d’obtenir des échantillons de tissus du cerveau au cours de leur vie. C’est là que les organoïdes sont importants. »
Ainsi, en plus de réduire les essais sur les animaux, les organoïdes ouvrent beaucoup de portes à la science, tant dans l’étude du vieillissement chez l’humain que pour la mise au point de nouveaux médicaments ou pour le développement de la médecine personnalisée.
L'étude des organoïdes est très prometteuse pour la santé humaine, mais c'est un domaine en émergence que la recherche commence à peine à défricher.
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
« Les organoïdes permettent de tirer beaucoup plus de conclusions pertinentes qui orientent les essais qui seront faits in vivo par la suite, résume le professeur Lauzon. C’est très pertinent, mais c’est un nouveau domaine, il y a beaucoup de choses à faire encore. »
Un terrain de jeu qui gardera les professeurs Laurent et Lauzon fort occupés au cours des prochaines années.
À propos de Benoit Laurent
Benoit Laurent est professeur au Département de biochimie et de génomique fonctionnelle à la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS). Il est également chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement rattaché au CIUSSS de l'Estrie – CHUS.
Spécialisé sur la question du vieillissement du cerveau et des pathologies qui y sont associées, il a développé une expertise en matière de cellules souches, un domaine qu’il souhaite faire avancer en tant que chercheur.
Originaire de Poitiers, en France, le professeur Laurent se décrit comme un passionné de l’enseignement animé par la découverte et l’entrain de la relève. Il est à l’UdeS depuis septembre 2018.
Les travaux du professeur Laurent sont soutenus par un financement de la Fondation Brain Canada.
À propos de Marc-Antoine Lauzon
Marc-Antoine Lauzon est professeur au Département de génie chimique et de génie biotechnologique à la Faculté de génie. Il est aussi chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l'Estrie – CHUS.
Cet expert en biotechnologie s’intéresse entre autres au génie tissulaire, en particulier à la culture dynamique en 3D. Outre ses travaux sur les organoïdes, il collabore notamment avec le CHUS sur un projet visant la mise au point d’un traitement innovant contre le cancer du cerveau.
Fasciné par la mécanistique et la science fondamentale, le professeur Lauzon se sent particulièrement interpellé par la recherche de solutions concrètes pour la société. Il a fait tout son cursus universitaire à l’UdeS et y travaille comme professeur depuis 2018.
Ses recherches portant sur le développement de systèmes de culture 3D sont financées par le Conseil de recherches en sciences et en génie du Canada (CRSNG) et par le fonds Nouvelles Frontières en recherche – volet exploration.