Branle-bas dans les usines de vaccins


« Il est possible qu’on ait un vaccin, même en sol québécois et canadien, dès le début de l’hiver, janvier, février prochains », a déclaré Horacio Arruda cette semaine. Or, si le Canada compte une demi-douzaine d’usines de vaccins capables de produire près d’un milliard de doses par année, aucune ne peut actuellement produire les vaccins les plus avancés. Alors que l’approbation d’un premier vaccin contre la COVID-19 pourrait survenir d’ici la fin de l’année, plusieurs questions pratiques se posent.

La production actuelle

Le Canada compte une demi-douzaine d’usines de vaccins, selon une présentation donnée à la mi-septembre par Mark Lievonen, ancien dirigeant de Sanofi Pasteur Canada qui codirige un comité gouvernemental fédéral sur la production de vaccins contre la COVID-19. Les deux plus grosses sont celles de GSK, à Québec, et de Sanofi, à Toronto, qui se spécialisent dans les vaccins contre la grippe. Leur capacité doit tourner autour de 200 à 250 millions de doses par année chacune, selon Andrew Casey, le président de l’association industrielle BIOTECanada.

Medicago a une capacité de 10 à 20 millions de doses dans son usine pilote de Québec. Il y a un sous-traitant à Toronto appelé Therapur, avec une capacité probablement inférieure à celles de GSK et Sanofi, et le Conseil national de la recherche (CNRC) a une usine de recherche non commerciale à Montréal. « Il ne faut pas oublier les autres étapes, le remplissage des fioles, par exemple, dit M. Casey. Il y a une pénurie mondiale du sable nécessaire pour fabriquer le verre des fioles pharmaceutiques. » La présentation de M. Lievonen énumérait une dizaine d’usines de remplissage de fioles de vaccin.

Les projets de Medicago

Le 23 octobre dernier, Medicago, qui devrait lancer sous peu un essai clinique de phase II-III pour un vaccin de COVID-19 produit dans des plantes temporairement transgéniques, a annoncé avoir reçu un financement du gouvernement fédéral pour construire d’ici 2024 une usine d’une capacité de 1 milliard de doses de vaccin par année, à Québec. Une portion d’une subvention de 176 millions de dollars, qui servira aussi aux essais cliniques, ira à cette nouvelle usine. Outre son usine pilote à Québec, Medicago a une usine d’une capacité de 100 millions de doses, qui avait été financée par DARPA, l’organisme de R & D militaire du gouvernement américain, à la suite de la pandémie de grippe de 2009.

Laval, plaque tournante

La moitié des essais cliniques de phase III de vaccins contre la COVID-19 dans le monde utilisent les services de Nexelis, un laboratoire d’analyse de Laval, selon son vice-président Luc Gagnon. « On nous envoie les échantillons des patients pour qu’on voie s’il y a création d’anticorps contre la COVID-19. » Nexelis tire son origine d’une société fabriquant des vaccins contre la grippe, Intellivax, qui, à la suite d’une série de transactions, s’est retrouvée dans le giron du géant pharmaceutique GSK. GSK s’est défait des laboratoires où travaillent plus d’une centaine de chercheurs, et se spécialise maintenant dans les contrats de recherche commerciale sur la mise au point de vaccins. Nexelis connaît un boom avec la COVID-19 et embauche des dizaines de spécialistes.

Les premiers de classe

Les vaccins les plus avancés ont en commun d’utiliser une technologie nouvelle, les vaccins à ARN. L’ARN est un code génétique, comme l’ADN. Il n’y a pour le moment qu’une seule usine capable de produire des vaccins à ARN, celle du Conseil national de la recherche (CNRC), boulevard Décarie, à Montréal. « La capacité est de 500 litres », explique Bernard Massie, un gestionnaire à la retraite du CNRC qui a beaucoup travaillé sur cette infrastructure. « Il y a en ce moment des investissements très heureux sur la mise aux normes GMP de capacité de production de vaccins à ARN. Ça devrait prendre un an. » Les normes GMP, de bonnes pratiques manufacturières, permettent de produire des vaccins au niveau commercial et non de recherche. Selon M. Massie, il faudrait deux à trois ans pour augmenter la capacité de production de vaccins à ARN du CNRC. Pour le moment, la capacité devrait tourner autour d’une dizaine de millions de doses par année.

Santé Canada et la FDA

L’organisme qui certifiera un vaccin aux États-Unis, la FDA, a émis des règles claires pour une autorisation d’urgence. Plusieurs observateurs et les présidents des sociétés pharmaceutiques les plus avancées dans la course au vaccin contre la COVID-19 ont estimé que si les essais cliniques en cours sont positifs, la FDA pourrait approuver un vaccin dès la fin de novembre. Santé Canada attendra-t-elle longtemps avant d’approuver le même vaccin ? « Santé Canada n’a pas émis de règles pour une autorisation d’urgence », remarque Nicholas Brousseau, de l’Institut national de santé publique du Québec. « Mais ils reçoivent les données des entreprises au fur et à mesure. D’habitude, ils attendent que toutes les données soient là avant de les consulter. Alors ça va aller plus rapidement. » Luc Gagnon, lui, estime qu’aucun pays occidental ne pourra se permettre d’attendre longtemps une approbation par la FDA. « La pression mondiale est énorme, je siège à des rencontres de l’OMS [l’Organisation mondiale de la santé] où l’on discute des différents vaccins et il est clair qu’aucun des pays ne va ralentir le pas. »

Qui vacciner en premier ?

Aux États-Unis, quatre groupes ont été identifiés pour recevoir un vaccin contre la COVID-19 en priorité : le personnel médical, les travailleurs essentiels comme les policiers et ceux de certaines industries, les malades ayant plus de risques de complications, comme les personnes immunosupprimées, et les plus de 65 ans. Au Canada, le Comité consultatif national sur l’immunisation réfléchit à la question. « Advenant qu’on ne puisse pas vacciner tout le monde en même temps, il est clair qu’il y aura des groupes qui seront vaccinés rapidement », explique le Dr Brousseau, qui siège au Comité sur l’immunisation du Québec. « On peut penser aux travailleurs de la santé, qui sont plus à risque d’être infectés ou de propager le virus. On peut aussi penser au principe de réciprocité, le devoir de protéger ceux qui vont au front. Ou alors aux personnes plus susceptibles d’être hospitalisées ou de décéder. On prendra une décision dans les prochains mois. » Pourrait-il y avoir des différences entre les provinces, comme cela existe par exemple pour la grippe, où le Québec vaccine moins parce qu’il met plus l’accent sur l’analyse coûts-bénéfices ? « Il peut y avoir des différences entre provinces, mais ça va se ressembler », dit le Dr Brousseau.