Vers une révolution du traitement des maladies par l’ARN?


Son utilisation dans les vaccins contre la COVID-19 a prouvé qu’il s’agit d’une molécule dotée d’un immense potentiel thérapeutique. L’ARN est en voie de révolutionner le traitement des maladies génétiques, du cancer, voire de pathologies communes.

L’acide ribonucléique, ou ARN, fait l’objet d’intenses recherches depuis qu’on a découvert qu’il exerce de multiples fonctions dans nos cellules.

On estime qu’il y a de 30 à 100 millions de molécules d’ARN dans chacunedes 30 000 milliards de cellules de notre corps. Et on sait aujourd’hui qu’il existe différentes familles d’ARN, dont plusieurs remplissent des fonctions catalytiques importantes qu’on ne soupçonnait pas il y a dix ans. Ces découvertes ont même conduit des scientifiques à considérer l’ARN comme une molécule à l’origine de l’émergence de la vie.

On connaît depuis longtemps les rôles de l’ARN messager (ARNm) et de l’ARN de transfert (ARNt). Lors de la synthèse d’une protéine, la séquence d’ADN qui y correspond est d’abord transcrite en ARNm. Ensuite, des ARNt déchiffrent l’information génétique inscrite dans l’ARNm et apportent les acides aminés nécessaires à la composition de la protéine dans le ribosome, qui est l’usine de fabrication des protéines dans la cellule.

L’Américano-Canadien Sidney Altman, colauréat du prix Nobel de chimie en 1989, décédé en avril dernier, a été celui qui a codécouvert les fonctions catalytiques, c’est-à-dire enzymatiques, de l’ARN. « Ce fut une grande découverte parce que cela nous a fait comprendre que l’ARN est doté d’une grande polyvalence fonctionnelle dans nos cellules. Il y a aujourd’hui une grande effervescence pour comprendre ce que font les différents ARN dans nos cellules », souligne le Dr Éric Lécuyer, chercheur principal de l’Unité de recherche en biologie des ARN à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), qui est à mettre sur pied un centre d’innovation et de médecine de l’ARN.

ARN et maladies

Molécules essentielles au bon fonctionnement des cellules, les ARN peuvent donc être à la source de maladies. Par exemple, une quarantaine de maladies neurodégénératives — dont une forme héréditaire de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et la dystrophie myotonique de type 1, ou maladie de Steinert, particulièrement prévalente au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où une personne sur 475 en est affectée, contre une sur 8000 dans le monde — sont causées par des répétitions anormales de certains nucléotides (éléments de base de l’ADN) dans le génome. Ces segments amplifiés d’ADN sont transcrits en ARN, qui « forment alors des agrégats dans les noyaux des cellules. Ces ARN aberrants et toxiques pour la cellule agissent comme des éponges moléculaires qui [absorbent] des protéines importantes dans la régulation, le transport et la maturation des ARN et perturbent leurs fonctions normales », explique le Dr Lécuyer.

Une fois que l’ADN a été transcrit en ARN, cette première version d’ARN dite primaire subit diverses modifications chimiques (un processus de maturation). Celles-ci sont effectuées par une machinerie moléculaire composée de protéines qui se lient à l’ARN, qui le débarrassent de ses parties non codantes, qui le transforment en ARNm, puis qui conduisent ce dernier vers des compartiments particuliers de la cellule.

À ce processus de maturation s’ajoutela présence de quelques milliers de micro-ARN qui viennent s’apparier à des molécules d’ARN pour en abaisser l’expression ou carrément les dégrader. « Certains de ces petits ARN seraient impliqués dans la cancérogenèse », indique le Dr Lécuyer.

L’amyotrophie spinale, une maladie neuromusculaire génétique qui affecte les enfants et cause leur mort en bas âge, est quant à elle causée par un défaut (dû à une mutation) dans la production des protéines qui se lient aux ARN. Or, les Américains Adrian Krainer et le Dr Frank Bennett, de la pharmaceutique Ionis, ont réussi à mettre au point un traitement composé d’un petit ARN synthétique, appelé oligonucléotide antisens, qui, en se fixant à l’ARN issu de la transcription du gène défectueux, vient modifier le processus de sa maturation de telle sorte que la production de la protéine de liaison s’accroît.

Thérapies à base d’ARN

On connaît bien sûr les vaccins à ARNm qui nous ont permis d’émerger de la pandémie de COVID-19. Maisdes vaccins à ARN sont aussi envisagés pour traiter des personnes porteuses d’une mutation génétique entraînant la synthèse d’une protéine anormale, qui sera souvent responsable d’une maladie. En injectant l’ARNm correspondant à la protéine normale, il serait ainsi possible de remplacer celle qui est défectueuse.

On a compris qu’il y a des régions dans la séquence de l’ARN qui vont agir comme des codes postaux moléculaires pour dire à la cellule où transporter cet ARN, un peu comme le code postal qu’on inscrit sur une lettre qu’on met à la poste afin que le facteur la livre au bon endroit

— Éric Lécuyer

Les tentatives initiales d’utiliser l’ARNm pour la vaccination contre une maladie infectieuse ou comme thérapie curative de remplacement protéique ont longtemps échoué parce que l’immunité innée induisait la destruction de cet ARNm, qu’elle considérait comme étranger, rappelle le Dr Lécuyer. « On a donc modifié certains nucléotides de cet ARNm afin qu’il apparaisse comme étant de source endogène. Ces modifications améliorent la stabilité de la molécule, qui est néanmoins dégradée relativement rapidement, et minimisent la réaction immunitaire innée. »

Des vaccins anticancéreux

La stratégie d’un vaccin à ARNm est aussi explorée pour combattre le cancer. Cette approche permettrait par exemple de remplacer un gène suppresseur de tumeurs qui serait absent ou muté dans certains types de cancer. Cet ARNm pourrait ainsi fournir les protéines qui bloquent la prolifération des cellules cancéreuses.

Une autre possibilité consisterait à livrer aux tumeurs cancéreuses un ARNm produisant une protéine capable d’induire l’apoptose, c’est-à-dire la mort cellulaire programmée. « Si on arrivait à acheminer cet ARN directement dans les cellules tumorales, on parviendrait ainsi à tuer sélectivement ces cellules anormales, contrairement aux agents chimiques thérapeutiques (chimiothérapie) qui ont un effet à large spectre entraînant la mort de toutes les cellules du corps ayant un mode de reproduction prolifératif », fait remarquer le Dr Lécuyer.

« Avec un vaccin qu’on injecte, on a un effet systémique qui sera bénéfique pour prévenir une maladie infectieuse. Mais pour un cancer, le vaccin devra avoir un effet plus local. Le grand défi est de développer des approches permettant de livrer les molécules d’ARN dans les bons tissus, dans les bonnes cellules, voire dans les bons compartiments de la cellule, car l’ARN thérapeutique a souvent tendance à se retrouver dans des compartiments non pertinents, ce qui fait que seulement une petite proportion de ces ARN s’avère efficace », explique-t-il.

Beaucoup de chercheurs s’appliquent à mettre au point des nanoparticules — pour encapsuler les ARN —, auxquelles ils greffent soit des anticorps qui reconnaissent des marqueurs à la surface de cellules particulières, soit des molécules qui auront une affinité pour un tissu particulier. Les nanoparticules sont une clé importante pour permettre une livraison au bon tissu et aux bonnes cellules, mais une fois dans la cellule, il faut trouver le moyen d’atteindre le bon compartiment. L’équipe du Dr Lécuyer travaille sur cette dernière étape.

« On a compris qu’il y a des régions dans la séquence de l’ARN qui vont agir comme des codes postaux moléculaires pour dire à la cellule où transporter cet ARN, un peu comme le code postal qu’on inscrit sur une lettre qu’on met à la poste afin que le facteur la livre au bon endroit. Dans mon laboratoire, on essaie de déchiffrer ces codes postaux moléculaires qu’on ajouterait aux molécules d’ARN thérapeutique afin d’améliorer leur livraison dans le compartiment cellulaire approprié. Il nous faut déterminer le code postal correspondant à chaque organite de la cellule », explique le Dr Lécuyer, dont l’équipe a développé des approches génomiques combinées à de la bio-informatique et à de l’apprentissage automatique pour arriver à comprendre la nature de ces codes postaux ARN.

Selon le chercheur, les thérapies à base d’ARN sont moins risquées que les thérapies géniques (à base d’ADN), qui sont plus susceptibles de laisser des traces dans le génome du patient. D’un point de vue éthique, il est plus controversé de tenter de corriger une mutation dans le génome d’un patient à l’aide de la technologie d’édition génomique CRISPR-Cas ou par la technique classique consistant à administrer des vecteurs viraux dans l’espoir qu’ils aillent s’insérer à l’endroit du génome où la mutation est présente, croit-il.