Catalyser le développement pharmaceutique canadien


Après avoir conçu et commercialisé depuis 10 ans maintenant un produit novateur pour soigner un trouble associé aux personnes vivant avec le VIH, la société biopharmaceutique Theratechnologies entreprend d’élargir son champ d’action avec l’homologation prochaine d’un traitement hépatique et d’une plateforme d’oncologie. Paul Lévesque, nouveau PDG de la biotech, aimerait bien que Theratechnologies devienne le catalyseur du développement pharmaceutique canadien.

Vous avez été longtemps associé à la multinationale Pfizer, où vous avez occupé plusieurs fonctions de haute direction, dont celle de PDG de Pfizer Canada. Qu’est-ce qui vous a amené chez Theratechnologies ?

Après mes études en biochimie à l’Université Laval, j’ai travaillé quelques années chez Upjohn avant de me joindre en 1992 à Pfizer. J’ai travaillé sur différents dossiers, c’était les grandes années où on a commercialisé le Celebrex, le Viagra, le Lipitor…

En 2002, on m’a envoyé en France, où j’ai été durant cinq ans responsable de la division commerciale avant de revenir à Montréal comme PDG de Pfizer Canada. On était la troisième entité de Pfizer en importance au monde, derrière les États-Unis et le Japon.

En 2007, j’ai été recruté à New York comme responsable du marketing avant de devenir président de la division Asie-Pacifique-Chine, puis président de la division des maladies rares.

L’an dernier, au moment même où je me questionnais sur ce que je pourrais faire à 56 ans, j’ai été joint par Theratechnologies, où je pouvais mettre à profit tout ce que j’avais appris durant ma carrière. J’ai quitté Pfizer en mars, en pleine pandémie, et je me suis joint à Theratechnologies en avril.

Quels étaient les défis qui vous attendaient, exactement ?

Theratechnologies a conçu le seul produit, la Tésamoriline, capable de soigner les graisses viscérales chez les personnes vivant avec le VIH. Les gras hépatiques sont un facteur de complication chez les personnes qui ont le VIH et on réussit à les réduire de 35 %.

Mais on s’est rendu compte que la Tésamoriline pouvait aussi soigner les formes d’hépatites non alcooliques qui rendent le foie de moins en moins fonctionnel dans la population générale. Il y a présentement une dizaine de biotechs qui travaillent sur ce sujet, mais nous, on est rendus en phase 3 des essais cliniques. C’est un très bon produit dans notre pipeline.

Theratechnologies a aussi fait l’acquisition il y a deux ans de Katana, l’entreprise de recherches en oncologie du Dr Béliveau, qui a mis en évidence l’importance d’un récepteur dans le rôle de survie des cellules cancéreuses.

Il y avait un travail de fond de fait en phase préclinique, mais là, on vient d’obtenir de la FDA [Food and Drug Administration] le « fast track », la voie rapide pour entreprendre la phase 1 des essais cliniques. C’est un produit très prometteur pour combattre certains types de cancer, comme l’a confirmé l’autorisation de la FDA.

Au moment où vous avez quitté Pfizer, vous étiez responsable de la division des maladies rares, et chez Theratechnologies, vous avez conçu des produits spécifiques pour le traitement de certaines conditions chez les gens vivant avec le VIH. Est-ce que la recherche pharmaceutique est maintenant rendue spécialisée à ce point ?

Dans les années 90, l’industrie a donné naissance à une vague de produits de grand volume pour le grand public. Les médicaments pour le cholestérol, le diabète ou l’hypertension existent, et ils fonctionnent bien.

Il y a donc eu un déplacement vers les produits de spécialité, notamment en oncologie. Et cela tombe bien, parce que c’est exactement ce que nous faisons, chez Theratechnologies.

Vous commercialisez certains de vos produits liés au VIH. Est-ce que vos revenus sont suffisants pour financer vos travaux de recherche ?

Non, absolument pas. On a enregistré l’an dernier des revenus de 66 millions US, ce qui n’est pas assez pour répondre à nos besoins. On vient de clôturer en janvier un financement public de 46 millions US, ce qui représente les fonds nécessaires pour nos activités des deux prochaines années. À lui seul, le développement de notre produit pour la stéato-hépatite non alcoolique va nécessiter des investissements de 80 à 105 millions US pour les essais cliniques de phase 3.

Est-ce que les grandes sociétés pharmaceutiques font partie de vos actionnaires ?

Non, pas encore. On n’a pas cherché à établir de partenariats avec les grandes pharmas. Il y a beaucoup d’investisseurs qui sont intéressés par nos recherches, surtout aux États-Unis, où il y a beaucoup de capitaux disponibles pour le secteur de la santé. On reconnaît la diversité de notre pipeline de produits. La prise de risque est plus élevée, mais le potentiel de gains aussi.

La crise des vaccins pour la COVID-19 a mis en évidence les carences industrielles du Canada dans ce secteur d’activité. Est-ce que vous êtes favorable à la création d’une organisation étatique qui superviserait la fabrication et l’approvisionnement sur place de médicaments de première nécessité, un Pharma-Québec ?

Ce serait plus que souhaitable, mais ce ne serait pas simple à mettre sur pied. Les relations avec les pharmaceutiques ne sont pas optimales. Il faudrait d’abord réaliser un nouveau pacte sur les brevets, les prix et le marché.

Il faudrait ramener la protection des brevets pharmaceutiques, comme l’a fait Brian Mulroney au début des années 90, ce qui a donné une impulsion incroyable à l’industrie.

Chez Theratechnologies, on est un catalyseur d’innovation. C’est ce que l’on fait avec les avancées du Dr Béliveau, et c’est ce que l’on souhaiterait faire avec tous les groupes de recherche en biotechnologies au Canada.

Comment souhaitez-vous faire profiter à Theratechnologies de vos 30 années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique ?

On a une base de revenus de plus de 66 millions US. On a deux produits qui ont un fort potentiel de croissance. Mon rôle, c’est de faire avancer le pipeline et d’être en mesure de bien faire face à la croissance en allant chercher de nouveaux investisseurs et de nouveaux talents.